Saint Germain-des-Près a t-il jamais existé ? S’agit-il d’un mythe créé de toutes pièces par des nostalgiques trop contents de relater leur jeunesse d’après-guerre ?
L’historien Eric Dussault nous donne des éléments de réponse dans un ouvrage captivant et bien documenté puisqu’il émane d’un travail de thèse.
Le quartier Saint-Germain-des-Près doit sa célébrité à sa scène intellectuelle d’après guerre. Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir y avaient leur QG dans deux cafés qu’on ne présente plus : Le Flore et Les Deux Magots.
Mais l’aspect canaille, artiste, frondeur du quartier, ce sont les jeunes qui l’ont apporté, dans les caves de jazz. Au summum du mythe trône Le Tabou.
C’est dans cette voute étouffante que la bande Greco-Vian-Cazalis venait danser au son des jazzmen, américains et français. En 1945, le Jazz était encore confidentiel à Paris, 3000 amateurs tout au plus. Les caveaux, qui étaient le repaire underground d’une jeunesse en rupture, sont devenus en quelques années, peut-être quelques mois, des lieux où le tout Paris se devait d’être vu. Le livre de Dussault explique comment la presse a contribué à forger le mythe Saint-Germain-des-Prés. Le simple passage de Sartre au Tabou suffit à en faire un proche de la scène jazz et de la bande de Boris Vian, ce qui dans les faits était faux.
L’invention de Saint Germain des Près a le mérite de dévoiler la face moins reluisante de ce quartier mythique : cachets dérisoire des musiciens et contrôle social exercé par une police mondaine à l’affut de la moindre histoire de mœurs. Quand à la situation des jazzmen afro-américains, elle n’est pas si idyllique, en témoigne le trompettiste Donald Byrd au sujet de son ami Kenny Clarke : «
Les musiciens européens, leur truc c’était de s’approprier le matériel des musiciens afro américains, surtout celui de Kenny. Ils se mettaient à jouer comme des noirs, puis essayaient de les empêcher de travailler »
La journaliste Anne Marie Cazalis a contribué à la fondation du mythe en créant une rencontre entre jazzmen, écrivains et jeunes fêtards se rencontrer. Dans ses mémoires elle livre un résumé réaliste et quelque peu désenchanté de la situation :
Saint-Germain-des-Prés fut éphémère comme notre jeunesse. Saint-Germain-des-Près n’a duré que quelques mois, un an peut être. C’était une invention de la publicité, une trouvaille de quelque gros capitalistes et de deux ou trois directeurs de journaux désireux de prolonger l’époque de l’occupation, celle où il était facile de s’enrichir. (…) Au fond c’était ça Saint-Germain-des-Près : cette brève apparition d’êtres jeunes et charmants qui savaient à peine d’où ils venaient et qui ignoraient tout de leur destination.Anne Marie Cazalis
Aujourd’hui, les jeunes auteurs ne vivent plus dans le quartier, les loyers étant exorbitants et les troquets dans leur jus sont devenus rarissimes.
Toutefois, le quartier est encore une place forte de la littérature. Le prix de Flore fondé en 1994 est venu redonner une touche de folklore et les éditeurs qui ont voulu quitter le quartier ont du revenir sur leur décision. C’est le cas de Plon, revenu Place Saint Sulpice et de Flammarion qui a gardé des bureaux place de l’Odéon, histoire d’être « là où ça se passe ».
A l’heure qu’il est, rares sont les vestiges bohèmes de ce quartier envahi par les enseignes de luxe. Il est toujours possible d’acheter un bouquin à la librairie La Hune, de boire un pichet de sangria pour 7 euros au 10 rue de l’odéon. Il est encore permis de manger pour une somme modique au petit Saint Benoit et d’arroser ça d’une bonne piquette chez Georges, dans la rue des Cannettes.
Mais pour combien de temps ?
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