Richard, patron du Piano Vache : « La plupart des affaires qui capotent, c’est à cause des loyers trop chers»

J’ai rencontré Richard, le taulier de ce bar du Quartier Latin ouvert en 1977 et devenu presque mythique. On a parlé des années 80, de la manière de gérer un bar et de l’évolution de Paris.

Sis au 15 rue Laplace, le Piano Vache est l’incarnation de l’ambiance estudiantine du 5ème. Tous mes lundi Rodolphe Raffali y officie avec son trio de jazz manouche.

De gauche à droite : Rodolphe Raffali, David Gastine, Raoul Gastine

Les Mystères de Paname : Richard, ton bar est un véritable QG, c’est grâce aux sessions jazz manouche du lundi ?

Richard : Entre autres. Les concerts ont lieu seulement lundi, pour des questions de voisinage. Y a un arrangement avec les voisins. Ils savent qu’à 1H30 c’est terminé. C’est des voisins très sympas et les musiciens sont bons. Le mercredi j’ai essayé d’organiser des concerts de Blues mais c’était compliqué. Il faut admettre que ça fait beaucoup plus de bruit que le jazz manouche. Ça fait 9 ans que ça dure le lundi, j’allais pas tout foutre en l’air pour avoir deux jours de concert. J’ai croisé Raoul Gastine aux Pipos, place de l’Ecole Polytechnique il y a une dizaine d’années. Je lui ai dit que je tenais un bar juste à coté. A l’époque il jouait à l’Hôtel du Nord (Canal Saint-Martin) mais le lieu était en vente. Il cherchait un endroit pour jouer. Ça s’est fait facilement, il a été conquis.

C’est compliqué avec les voisins ? Plus qu’avant ?

Oui. Ça se vérifie. Au dessus du bar dans les années 80, y’avait plusieurs étages de chambres de bonne, transformées en appart depuis. Mais avec le voisin du dessus, ça va. C’est le directeur financier de Libé. Avant d’acheter l’appartement, il est venu dormir avec un lit de camp dans l’appart pour vérifier le volume sonore. C’est un couche tard, donc il a dit banco ! Ça fait 30 ans qu’il est là.

J’ai ouvert en 77 et y a toujours eu des concerts au Piano Vache. Dans les années 80, y a eu les Bérus, les Négresses vertes, Les Coronados et les Washington Dead Cats. Y a eu quelques concerts rock. Mais j’ai arrêté vite. La population du quartier a changé, c’est devenu très cher, les nouveaux habitants ne veulent pas de bruit. Il faut dire que les jeunes ont changé. A cette époque ils voulaient tous faire de la musique, de la photo, du théâtre… Maintenant c’est plus du tout ça. Ils préfèrent partir à Berlin. Nous on est une institution maintenant, donc on vit bien. Mais pour des bars qui ouvrent maintenant, ceux qui ne trouvent pas une véritable identité, un vrai thème, eux ils vont avoir du mal

C’est moins bohème aujourd’hui ?

Les gens avaient moins d’inquiétude. Y’avait des chambres de bonnes louées 250 francs par mois ! Maintenant c’est des colocs, à l’époque ça existait pas les colocs…

Donc je crois que c’est pas les mêmes préoccupations, les mêmes loisirs. Tous les festivals, ça n’existait pas. Les amusements étaient plus situés dans les bars je pense.

Aujourd’hui je suis un des rares à faire un concert le lundi soir.

A l’époque aussi y’avait moins de contrôles. Un exemple : moi je suis censé fermer à 2h du matin. Mais dans les années 80, je fermais jamais à 2H du matin. Je trainais jusqu’à 3h, 4h, j’ai jamais eu un contrôle. Du moment que ça se passait bien, qu’il y avait pas de bagarres…j’avais pas de problèmes. Aujourd’hui, vers 1H45, y’a la police qui passe pour voir si on est en train de fermer. Il fut un temps, on sortait du piano vache pour terminer la nuit, on croisait beaucoup de gens intéressants. Mon beau frère c’est Jean-Marie Rivière. Il avait l ‘Alcazar et il a ouvert le Paradis Latin. Tout le monde était mélangé. Un étudiant pouvait rencontrer un mec comme Jean-Jacques Debout.

Ta clientèle est assez jeune.

Oui. Par exemple, je vois que les anglais de 60 ou 70 ans, ils ont pas peur de rentrer boire des coups avec les jeunes. Chez les français tu vois pas ça. C’est 18-40 ans. Après 40 ans, plus personne ne sort. Dans les années 80, j’allais à l’Elysée Matignon, y avait pas le bling bling qu’il y a aujourd’hui. On croisait Serge Gainsbourg qui nous payait un verre. T’allais dans les boites de Saint Germain, tu croisais Jacques chazot, tu croisais Thierry Le luron. Maintenant si c’est pour croiser Hanouna ou Nabila, je vais te dire, c’est pas la peine. Ces gens là ils représentent rien. T’avais des auteurs, des metteurs en scène qui sortaient. Maintenant, tu vas dans une boite electro, tu croises pas ces vieux mondains.

Je me souviens avoir été au Pied de Cochon la nuit (restaurant historique des Halles). On croise Gainsbourg, mon pote un peu éméché l’aborde gentiment. Puis on mange, on demande l’addition. Le serveur me dit : « M. Gainsbourg a payé pour vous ». Des anecdotes comme ça, j’en ai 10 000. André Bezu (La Queuleuleu) venait avec Bernadette Laffont. Bernard Blier venait aussi Jacques Chazot arrivait en taxi. Et se mettait au bout du bar au milieu des punks, il leur payait des verres. Il commençait la soirée ici.

 Disons que l’énergie a beaucoup bougé vers la Rive Droite….

Oui, maintenant les gens se logent plus facilement dans le 11e. Le 5e et 6eme, c’est inabordable. Le lundi, y a 70 % de touristes, enfin plutôt des étudiants étrangers.

Il y a aussi aussi le problème de la gestion des bars. Ici ça marche bien parce que je suis ici. Moi je touche du bois j’ai jamais eu un videur. Mais dès qu’il y a un truc qui va pas, je discute et ça se calme tout de suite. Je désamorce la moindre embrouille. En ce moment y a beaucoup d’investisseurs qui ne gèrent pas leurs bars. Ils ont 3 ou 5 bars, ils placent des gérants qui bougent sans arrêt. Les restaurants c’est pareil. Quand le patron c’est le cuisinier, ils ont des bonnes critiques. Sinon c’est moyen. Pour les gens le gage de réussite c’est le nombre de bars qu’ils possèdent. Pourquoi avoir trois bars pour au final ne pas en profiter ? Moi je m’amuse, je passe des super soirées, je connais ma clientèle.

 Tu trouves que Le Piano Vache est devenu trop touristique ?

Pour le chiffre d’affaire Heureusement qu’il y a les touristes. Après les attentats, c’est devenu compliqué. A mon époque, c’était les gérants qui cherchaient une affaire, ils avaient du mal à en trouver. Aujourd’hui c’est les propriétaires qui essayent de trouver des bons gérants. Donc y a un truc qui tourne pas rond

 C’est à dire ?

Si t’as trop d’affaires à la fois, c’est pas bon. Tu peux avoir un peu de déco, des belles gonzesses. Mais ce que les gens cherchent c’est un bar amical, pas impersonnel. Le défi, c’est d’avoir des gérants dont on soit proches, avec un esprit familial. Dans tous ces lieux les gérants ils font une saison et ils se barrent

Moi je suis propriétaire du fond de commerce, c’est moi qui l’exploite. Mais si je voulais, je pourrais partir en vacances et chercher un gérant. T’as le système du gérant appointé. Tu lui donne 2000 ou 3000 euros par mois, qu’il y ait zéro client ou mille, il gagne le même salaire. Et t’as le gérant libre. Tu lui dis « pour le loyer tu me donnes 3000€ par mois et pour la redevance, 3000 aussi. Donc le type il doit sortir 6000 balles avant de gagner son premier sou.

(En bref, la redevance c’est pour payer fond de commerce et le fond de clientèle qui va avec, donc le travail effectué pour capter le chaland. Le loyer, c’est pour payer les murs)

Ce qui s’est passé ces dernières années c’est que les propriétaires des murs, qui connaissent rien au métier ont fait augmenter les montants. Certains jeunes gérants arrivent et se disent qu’ils arriveront à faire beaucoup d’argent en gérance, mais quand tu commences à payer 4000€ de loyer, ça fait mal. Ce qui a explosé, c’est le montant du loyer, pas le fond de commerce. Parce que le détenteur du fond de commerce, il connaît le métier, le prix du demi etc. C’est pas dans son intérêt d’étrangler son gérant. Le rentier, lui ne connaît rien, il en rien à foutre. La plupart des affaires qui capotent, c’est à cause des loyers trop chers. Actuellement, la tendance s’inverse  parce que de plus en plus de gérants se barrent sans payer le loyer. Donc les proprios préfèrent baisser le loyer plutôt que lancer des procédures qui vont durer un an contre le gérant, avec avocat et tout ça.

Dans les années 80, mon loyer ça devait être 1800€. Aujourd’hui, je pourrais le louer 4000€ . Bref ce qui fout la merde, c’est les gros loyers et les contrôles routiers. Dans les années 90, les mecs ont commencé à souffler dans le ballon en rentrant chez eux en voiture. Ça les a calmés. Y’avait pas encore une telle culture du vélo à l’époque

Qu’est ce qui t’a poussé à acheter ce bar ?

Quand j’étais étudiant, le week-end je donnais un coup de mai à l’Alcazar, j’étais « poursuiteur », tu suis les entrées et les sorties des artistes avec un spot, en fonction de ce que le metteur en scène te dit de faire. J’ai fini l’ESCA Paris. Quand mon beau frère, Jean-Marie Rivière, a ouvert l’Alcazar Madrid, je suis resté 2 ans là bas. Après on a fait ça à Barcelone pendant 1 an. De retour à Paris, il a repris l’Ange Bleu. Moi j’ai travaillé dans une usine de fabrication de plastique à Chantilly donc ça changeait ! J’ai tenu 1 an. J’étais resté en contact avec le propriétaire d’ici, qui a eu un problème avec son gérant. Il m’a dit : « toi qui connais un peu la nuit, est ce que tu peux reprendre l’affaire ? Il m’a proposé ça le mercredi. Le samedi j’ouvrais ici ! Mais c’était tout petit. Ensuite j’ai récupéré la cour. Mais avant d’avoir la cour, j’avais le restaurant d’a côté comme deuxième salle. J’ai vendu à des jeunes de la rive droite qui ont voulu ouvrir un bar electro. Ils se sont plantés. La déco était bien mais c’est pas le bon quartier pour faire ça. En plus, ils ont viré la vielle cheminée, le vieux bar en zinc et ils ont fait un vieux plafond qui cachait les poutres apparentes ! D’ailleurs, ils ont pas payé le loyer, ils se sont fait expulser. Le proprio a vendu tout l’immeuble à la ville de Paris ! Il va y avoir 12 logements sociaux en Septembre 2017. Avant c’était des chambres de bonnes, certains barmen du Piano Vache habitaient là. Y’avait aussi Philippe Petit, le funambule qui a marché entre les tours jumelles à New York. C’était son pied à terre à Paris. Tu vois, des gens exceptionnels venaient ici !

Ça marche bien parce qu’ici c’est gratuit et la musique est bonne. Le Petit Journal (Un club de Jazz du Boulevard Saint Michel) t’en as pour 60 ou 70 balles avec de la bouffe pas terrible. T’as vu que l’atelier Charonne a fermé ! Ça marchait pas… Les Petits Joueurs (Bar spécialisé dans le Jazz Manouche)sont dans une mauvaise passe, ils ont fait un crowdfunding. En ce moment c’est compliqué pour le jazz. Dans le coin avant y avait le Caveau de la Montagne, Y’avait Chez Felix. A la place du pub de la rue des Carmes, y’avait aussi un club de jazz.

Tu as l’impression d’être un survivant ?

Non. Ce serait le cas si tous les gens autour de moi avaient mon âge. Mais je m’aperçois que les gens qui viennent ici, ils ont 20 ou 30 ans. Y’a une véritable demande pour ce que je fais. Ici c’est pas des vieux babas cools nostalgiques !

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