Aladdin Charni : le serial teufeur de l’undergound (archive inédite)

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Beaucoup d’articles ont été écrits sur Aladdin Charni, squatteur en série et entrepreneurs de projets festifs atypiques. Dans les milieux alternatifs et branchés, on ne le présente plus. Après avoir ouvert une myriade de squats, ouvert un restaurant « freegan » sous le périphérique, son dernier projet se déploie sous le pont Alexandre III, précisément dans le but de donner un avenir au Freegan Pony. Au cours des années Aladdin est presque devenu un personnage public , un chef de file de l’underground autour duquel s’est agrégé une communauté fêtarde de taille. En collaborant avec la mairie de Paris et la structure Plateau Urbain pour son dernier projet Le Génie D’Alex, l’homme de 34 ans est aujourd’hui amené à opérer en « overground » pour donner une pérennité à ses projets : Aladdin vaut continuer à faire danser les fêtards, à faire manger un peu tout le monde. En somme : à faire communier le peuple.

On a parlé de plein de choses :  de son arrivée à Paris, du monde du squat, de ses projets futurs et du reportage sur M6 qui l’a rendu visible à la France entière.

Interview fleuve!

Tu dis qu’il n’y a plus de vrais squats à Paris ?

C’est ce que je me disais en allant aux toilettes ! (L’interview se déroule dans le patio du Centre de Danse du Marais). Je vois des mecs super bien habillés , cravate et compagnie. Je me dis que ce lieu est hyper guindé. Des lieux comme ça y’en a plein à Paris. En pissant, je me disais : « ils se sentent obligés de proposer une déco complexe, ce genre d’univers, pour justifier leur prix. Parce que forcément un lieu alternatif ne pourrait pas appliquer ces tarifs là. Avec une pression immobilière comme ce qu’on peut voir à Paris, y’a pas de place pour ce genre de lieu. A part sur un mode éphémère, sans droit ni titre. En mode squat. Mais pour qu’un lieu soit alternatif, faut aussi qu’il y’ait une énergie particulière et une sélection artistique spécifique

 Tu disais que la majorité des squats sont plus des lieux alternatifs. Ah bon ?

Disons que des squats qui organisent des évènements, y’en a plus aucun ! La Miroiterie a fermé. Tous les autres organisateurs que j’ai rencontrés quand j’ai commencé à squatter, ils ont arrêté. Ceux que je recroise me disent « Aladdin t’es un fou, pourquoi tu fais tout ça ? Un jour tu vas le payer cher ». Mais pour moi c’est un combat, et tu mènes pas un combat sans en payer le prix. J’en ai conscience et je m’en accommode. Mais j’aimerais tellement qu’il y’ait d’autres lieux comme ça ! Quand la miroiterie a fermé je me suis dit : merde ! Il ne reste que nous !

Donc oui, les squats sont encore des lieux alternatifs, mais c’est tellement compliqué d’organiser des évènements culturels et surtout festifs, que y’en a aucun qui veut prendre le risque. Ils disent « oh moi je fais plus ça ! Ça n’a aucun intérêt. Parce que clairement ça n’a aucun intérêt. C’est que de la conviction. Tu donnes de ton temps, de ton énergie et de ta crédibilité parce que y a des gens qui te tombent dessus et qui te disent « t’es un gros connard de faire tout ça ». je le fait pas pour l’argent. Tout l’argent est réinvesti dans le lieu, dans la réhabilitation des espaces, dans les amendes, dans les frais d’avocats, l’achat d’un camion qui va servir à d’autres collectifs qui n’organisent pas de fêtes donc qui eux non plus n’ont pas de rentrée d’argent. Bref, ça n’a aucun intérêt.

Mais, quand même, les squats sont encore des lieux alternatifs. Mais de moins en moins. Il y a eu un débat à ce sujet à la Petite Maison avec le réseau Intersquat. Pourquoi on est les seuls à accueillir les réfugiés ? Les autres squats s’en lavent les mains et disent que c’est pas leur problème.

Je suis allé dans les Cévennes et j’ai fait le tour des fermes autogérées et je me suis dit : « ah en fait ils sont là les gens de l’alternatif ! Ils se sont barrés des grandes villes parce qu’ils n’y trouvent plus leur compte. Après, est ce que c’est un manque de courage de leur part de partir à la campagne dans une ferme autogérée ? Je peux les comprendre parce que c’est tellement une belle vie là bas. Mais en fait ils sont vraiment tous là bas. Ils ne sont plus à Paris. Moi j’ai voulu vivre en squat parce que j’avais ce désir de vivre en communauté alors que j’avais jamais rien vu, jamais rien lu, jamais rencontré personne des squats. J’avais une vie carrée à Lyon, je voulais me mettre en danger .En vivant en squat, je me suis rendu compte du sens que ça pouvait avoir et les engagements politiques que ça pouvait représenter. Il y a quelques années, y’avait encore les vieux de quarante ans. Ils se sont arrêtés parce qu’ils étaient trop fatigués

Ces quarantenaires rentrent dans le rang ?

Tu sais, vivre en squat, c’est une vie en accéléré. Tout est plus fort, tout est plus difficile. Tu dois bosser en plus. Et certains ont des gosses. Je me dis « comment ils font ? ». Parfois à 45 ans t’as plus rien à donner. Donc c’est pas qu’ils rentrent dans le rang mais à un moment ils se disent qu’il vont s’accorder du temps à eux et non plus aux autres

Raconte moi ta vie d’avant, à Lyon

J’étais en rupture familiale, je suis parti de chez moi pendant ma dernière année de lycée, j’ai galéré pendant plusieurs mois, j’ai dormi dans la rue. Ensuite j’ai bossé j’avais mon petit studio. Avec mes parents c’était pas possible, c’était destructeur. Partir était la seule manière d’apaiser les choses. Je sentais qu’à Lyon j’allais pas avancer. Je sentais que squatter me permettrait d’être éveillé constamment et de ne pas d’endormir.

Tu as squatté dès ton arrivée à Paris ?

Non pas du tout. J’ai passé 5 ans où j’ai payé mon loyer comme un bon citoyen (rires). Au début je me suis retrouvé dans une colocation d’un mec qui louait des chambres à des jeunes mecs qui avaient toujours le même profil : moins de 25 ans, en rupture familiale, homosexuels. Bref louer des chambres à des prix exorbitants à des jeunes vulnérables. C’était à Boissy-Saint-Léger. Cette année là il a essayé de transformer son jardin en solarium gay et naturiste. La salle de bain était collective et bizarrement chaque fois que tu prenais ta douche, il avait un truc à te demander. Bref, on sentait que le mec était un pervers. Ensuite le solarium a ouvert. Tu rentrais du boulot le soir, c’était pas désagréable. Mais quand t’arrives à Paris, c’est un peu perturbant de voir des mecs qui se sucent et qui s’enculent dans le jardin ! Après une journée de dure labeur au MacDo des Halles, tu voies des mecs qui s’enculent sous la douche ! Tu dis « ok les mecs je reviens plus tard ! (rires). Il s’est passé tellement de choses dans cette coloc ! Le mec a séquestré quelqu’un, il coupait l’électricité, il faisait tout ce qu’il pouvait pour avoir une mainmise sur nous. Ça a été une sacrée expérience, une belle mise en danger.

Redonne moi une petite chronologie de tes différents squats

Y a eu le 13 rue d’Enghien, ensuite y’a eu le Mont C. vraiment magique. Ensuite le Poney Club, très fatiguant et beaucoup de nuisances sonores, je reconnais. Les flics venaient tous les soirs c’était assez relou. Après y’a eu le Pipi Caca et ensuite le Péripate. Seul le Pipi Caca appartenait à la mairie. (Le Pipi Caca était d’anciennes toilettes publiques, dans le 10ème arrondissement). Mais j’étais pas dans la démarche de légaliser un lieu et de toute manière je ne connaissais pas les démarches. J’ai commencé à faire des démarches pour le Péripate, qui s’appelle le Freegan Pony pour la mairie !

Que penses tu de la tendance actuelle à légaliser les squats, à en faire des centres culturels ordinaires via l’usage du bail précaire ?

J’en pense pas grand chose, parce que y’a 4 ou 5 lieux comme ça. Mais je peux comprendre cette démarche. Quand tu passes des années sur un projet, t’as pas envie qu’un promoteur immobilier arrive et détruise tout. Après je refuse de brader le projet : l’idée c’est qu’ ils le prennent tel quel. Mais je sais que si on signe quelque chose je continuerai à faire des teufs, quitte à perdre le bâtiment au bout d’un an . Si on signe un bail d’un an renouvelable, on fera des teufs. Si ça plait pas à la mairie, on partira . Ça on se garde bien de le dire à la mairie.

Mais quand ça sera aux normes, le projet peut convaincre, fête incluse. Là le Freegan est pas aux normes. On a budgétisé ça à 400 000 euros. En tant que collectif alternatif on est capables de faire les travaux pour 4 fois moins cher. Ça s’est vu à la Petite Rockette. La mairie avait budgetisé les travaux à 700 000 euros. Ils ont insisté pour faire les travaux eux mêles, avec passage de la préfecture. Ça leur a côuté 70 000 euros ! La préfecture a dit que tout était impeccable.

 Donc ça se passerait comment pour le freegan ?

L’idée serait qu’on fasse les travaux nous mêmes pour 200 000 €. Financés pour moitié par la mairie. Mais nous on a une cuisine entière à monter et ça c’est des couts sur lels quels tu peux pas rogner

 Tout le monde était bénévole au freegan ?

Tout le monde sauf le chef et la personne qui faisait la plonge. C’est une question que nous avons abordée en équipe. Les membres ont préféré investir dans le lieu plutôt que se payer. On a déjà fait 20 000 euros de travaux. On est 6 à travailler à temps plein sur le projet. Le noyau élargi compte une centaine de personnes. On était complet tous les soirs, en 20 minutes on était plein. Du vendredi au lundi on faisait une moyenne de 100 couverts

T’es un peu la star du paris alternatif maintenant non?

Les gens s’imaginent beaucoup de choses sur moi. Hier un mec m’appelé et m’a dit qu’il avait revu l’émission de M6 (Aladdin a été filmé pour un reportage d’Enquête Exclusive). Il m’a dit « vous êtes un gros connard, vous faites 3000 euros par jour, c’est dégueulasse ! Moi je paye des impôts. Je lui ai demandé de se détendre, que je ne roua vraiement pas sur l’or. Le mec continuait à aboyer, je lui dit au revoir ! Les gens se font des films ! Déjà je tiens à préciser que c’est un piège qu’ils nous ont tendu. On savait pas que c’était eux, sinon on aurait pas accepté.

C’est à dire ?

Ils se sont présentés comme étant M6. J’ai pensé à des émissions info du style 66 minutes. Ils nous ont dit que le thème de l’émission serait les ouvertures de squat (le reportage parlait des nouveaux rois de la nuit) . Ils nous ont suivi pendant un mois sur les ouvertures de batiments. C’est seulement sur nos fêtes des deux dernières semaines qu’ils ont centré le reportage.

Mais tu as envie de donner de la visibilité à ton projet ?

Je voyais pas les choses comme ça. Je voulais aborder les problèmes du marché locatif et parler des problèmes de logement. IL faut communiquer là dessus.

Tu as regardé le reportage ?

Non. Mais 3 jours avant le montage, je leur ai dit qu’il y avait un gros problème, que y’a des choses qu’on ne pouvait pas montrer parce que ça pourrait nous porter préjudice. Ce qu’ils m’ont montré c’est la première partie, ils ne m’ont pas montré la dernière partie (celle de la fête au Péripate). En plus ils m’ont montré les images sans voix off. Je leur ai dit qu’ils se foutaient de ma gueule, que le commentaire c’était le truc le plus important. J’ai demandé à ce qu’ils enlèvent les plans sur les liasses de billets. Y’a 4 plans sur les liasses de billets ! Comme si on se faisait des mille et des cents ! Il m’ont dit qu’ils allaient les enlever. Que dalle. Ils ont tout gardé. Ils m’ont juste montré les rushes, mais je savais très bien qu’ils avaient déjà monté le reportage. C’était 3 jours avant la diffusion. Je savais que je ne pourrais rien obtenir d’eux. Mais je pense qu’ils ont quand même capturé un moment de vérité pendant la fête. Il faisait chaud, j’étais stressé. Ils m’ont demandé ce que ça me faisait de voir tous ces gens en train de s’amuser. J’avais les larmes aux yeux, ça a été un vrai moment d’émotion. Parce que remettre en état le Péripate, ça a été un sacré boulot ! Y’a eu des vrais moments de découragement. Alors au bout de tout ça, j’ai eu un moment de relâchement, les larmes sont montées.

Est ce que finalement, tu peux pas en retirer quelque chose de valorisant ? Par exemple t’ériger une image de personnage public?

A ma grande surprise, j’ai eu des retours dithyrambiques ! Par contre les propriétaires de club ont porté plainte contre moi.

 Pas contre ton équipe ?

Disons que je suis le seul qui assume toutes les responsabilités et les risques. Quand les flics arrivent, je suis le seul à donner ma carte d’identité. C’est un truc qui est acté dans l’équipe.

C’est aussi pour cette raison là que tu jouis d’un statut quasi héroïque dans l’underground, non ?

Oui, je suis la Cathy Guetta du Squat ! (rires). Non parce que je n’ai pas le sentiment de faire partie de l’underground. Y a des gens qui le sont beaucoup plus que moi. Je me considère comme à la droite de l’underground et je l’assume. Mais je suis seul à accepter d’en parler aux médias et le seul qui pense que ça a un intérêt de communiquer auprès du grand public et pas seulement auprès d’un microccosme de l’alternatif.

Est ce que tu comptes ouvrir d’autres squat ?

Oui ! Il y’a plein de lieux de la mairie de Paris qui m ‘intéressent.

Est ce que le squat est un métier d’avenir ?

Je ne pense pas que cette économie (avec des plats à prix libre) soit réellement viable. Mon argent ne vient pas du Freegan.

Tu vis vraiment au jour le jour ?

Oui mais j’essaye de préparer mon avenir. Je ne vais pas continuer ad vitam eternam comme ça. Y’a un moment cette vie elle va me fatiguer. Et il faut que je rassure ma mère ! J’avais dis que j’arrêterai le squat à 30 ans ! C’est une des rares promesses que je n’ai pas tenues ! Quand j’avais 27 ans je me disais, le squat à trente piges c’est dur à légitimer. Mais je me dis qu’il y’a encore des combats à mener et que j’ai encore ma place la dedans.

Quel est ton prochain projet ?

Même si je suis débordé et que ce n’est pas demain matin que ça va voir le jour, je rêverais de monter une communauté écolo proche de Paris, à Goussainville Le centre est abandonné par des riverains qui voulaient quitter les nuisances liées à l’aéroport de Roissy. L’idée serait de pouvoir reprendre ces maisons à 1 Euro avec l’obligation d’y travailler pendant 3 ans. Et l’idée c’est de redonner vie à ce quartier. Il pourrait y avoir plusieurs professions : un charpentier, un menuisier, un boulanger. Il pourrait y’avoir une ferme d’insectes qui mangeraient des rebus alimentaires. Et ensuite sensibiliser les gens à manger des insectes !

Tu as ouvert le Génie D’Alex à la place de l’ex-Showcase, sous le pont Alexandre III.  Il ne se passe plus rien en ce moment au Péripate ?

On a reçu un mail qui nous disaient d’arrêter les événements, sous peine de ne plus avoir la convention. Donc a a arrêté les évènements.

C’est un mode de gouvernance municipale assez cool qui vous a permis de faire quand même pas mal d’évènements non ?

Oui, ils savaient qu’il y avait des évènements. J’ai appris par la suite que certaines personnes de la mairie étaient venues faire la fête, tel députée est venue faire la fête. J’ai dit « c’est dommage ! » Elle aurait du venir discuter avec moi directement ! »

Ces relations avec la mairie sont assez typiques de Paris non ?

Déjà à New York,les squats n’existent plus. A Londres, ils ne tiennent guère plus de 3 mois. Ensuite, je ne dirais pas qu’on est proches de la mairie. Paris est une petite ville donc les gens de la mairie sont amenés à venir chez nous, ça veut peut être dir qu’on fait des choses sympa ! Mais on est pas proches d’eux . La communication est parfois un peu sèche ! On est obligés de travailler ensemble parce que c’est un lieu qui leur appartient. Si on était proches, tout serait plus simple.

Mais ils ne cherchent pas trop à réprimer vos activités…

Quand même, ils nous envoyé un mail « si vous continuez à faire des fêtes on ne signe pas de convention ! » Et ensuite dire « trouvez 350 000 euros pour faire les travaux, démerdez vous » pour occuper un lieu qu’on va occuper pendant 2 ans, c’est pas très sympa… Mais après , la mairie n’est pas uniforme. Il y’a des gens qui nous aiment bien et d’autres qui vont tout faire pour nous mettre des bâtons dans les roues.

Donc tu es en recherche de subventions ?

Non, parce que c’est trop long. Le temps de créer un dossier, de le déposer, d’avoir une réponse et d’avoir l’argent, il se passe un an. On peut pas attendre un an. Ça fait déjà une année que le lieu est fermé. On a besoin de faire tourner la structure. On a déjà investi dans les travaux. Si pour cette raison qu’on a ouvert le Génie d’Alex. C’est un moyen de créer de l’activité, de faire rentrer un peu d’argent pour le Freegan.

Et pourquoi pas un investisseur privé ?

Et bien non, parce que faire un appel à un investisseur privé, ça veut dire s’adosser à une marque et ça veut dire qu’ils t’imposent des conditions, des modes fonctionnement.

Et un mécène ?

Ecoute , je ne connais pas de personne assez riche pour investir dans un squat. On ne m’en a pas présenté ! Donc on ne va compter que sur nous même, c’est l’idé du Génie D’alex. C’est pas facile parce que les conditions sont assez draconiennes. C’est une quantité de travail assez phénoménale. Le lieu fait 1000 M2, tout est déclaré. Il y a énormément de paperasse et il faut travailler avec une autre structure Plateau Urbain), ce dont je n’ai pas l’habitude. Au Génie d’Alex, il faut s’adresser à plusieurs publics : familles, jeunes, teuffeurs…

Pourquoi ce nom « Le Génie d’Alex » ?

Moi j’aurais préféré un nom plus trash. Mais en même temps, Plateau Urbain c’est des gentils donc ce nom leur ressemble. Et tous ces lieux sont étiquetés Mairie de Paris, donc bon… On le fais conjointement avec Plateau Urbain et plein d’assos. C’est des gentils donc… J’aurais préféré que le lieu s’appelle Sous Les ponts ou Sous Les Putes (Rires).