Paris 19ème : 4 colocs aménagent un bar sur leur terrasse et réinventent la fête en appart’.
Pas totalement rassasiés par les bars classiques, les amis du collectif L’Asile entendent bien apporter leur pierre à l’édifice festif parisien. Marre du formatage. Et des pintes tièdes.
Il se passe beaucoup de choses en ce moment à Paris. Les réseaux sociaux ont aidé les organisateurs de fêtes à trouver leur public. Chaque semaine, de nouveaux collectifs se créent et la palette de lieux où l’on festoie s’élargit.
Dans le nouveau quartier construit autour du boulevard Mac Donald dans le 19eme arrondissement, quatre colocs se sont dit : pourquoi pas chez nous ? Je me suis rendu à la soirée intitulée « Médusée ». Au programme : concert et boissons pas chères servies au bar aménagé sur la terrasse. Ça en jetait. Qui n’a pas rêvé d’ouvrir un speakeasy comme à l’heure de la prohibition ? Ou un Shebeen comme en Afrique du Sud ? Bref, une structure faite maison. Le vrai « do it yourself ».
Pendant les années 30 à Harlem, les groupes de jazz jouaient dans les appartements, histoire de payer le loyer plus facilement. Ce jour de juin, c’était un groupe electro-pop qui jouait : Alma Alta. Un son frétillant, très groovy. Des phrases efficaces chantées en espagnol. Un peu trop années 80 peut être (rétromania quand tu nous tiens !).
J’ai passé un bon moment. J’ai voulu interroger les organisateurs de ce joyeux rassemblement. C’est Patwane qui m’a expliqué le concept du collectif L’Asile.
Comment a germé l’idée d’un collectif ? Quand ?
C’est une structure intemporelle, elle était déjà là avant même qu’elle soit. A l’origine, il s’agit d’une colocation d’humains qui cherchent à vivre et à atteindre un ou plusieurs objectifs communs. On est bien mieux à plusieurs et la réduction de 5€ des allocs’ ne fait que confirmer ce constat (rires). Plus sérieusement l’idéal pourrait se résumer en une phrase: il s’agit de prendre conscience de son individualité à travers la communauté, et non l’inverse. On a donc formé une colocation à 4 en octobre 2015, et le 1er mai 2016 on a crée la page facebook et son manifeste. L’Asile c’est un mot plurivoque: lieu de refuge et établissement de recueil d’aliénés. Les névrosés qui la composent sont assez nombreux, d’amis à amis d’amis, on y trouve aussi des gens de passage et des voisins qui aiment proposer leur patte aux événements que l’on présente.
Parle moi de la fête à Paris actuellement. Ça bouge pas mal, non ?
Oui. Mais on est arrivé à un niveau de saturation d’événements pré-calibrés, quasi-formatés, où l’on ne se sent pas à l’aise. Or la nuit semble servir à rendre le jour acceptable, à la fois contre une fatigue physique mais aussi contre la fatigue psychique du métro-boulot-dodo. Cependant selon notre modèle socio-économique, le temps est une valeur qu’il convient d’optimiser. C’est pourquoi les lieux et organismes suggèrent des événements qui se ressemblent. Et le public se perd en oubliant de se parler et se drogue pour avoir le sentiment d’être dans un ailleurs, sans être présent à ce qu’il fait. Dans cette routine festive se perd l’aura de la nuit, son « ici et maintenant », autrement dit son moment présent. Sous l’égide du temps éternel, l’événement ne surgit jamais, tout le monde est livide, éclairé par la lumière blafarde de l’uniformisation. Pourtant l’expérience est non-reproductible! Le but de la nuit est d’avoir des expériences alternatives, qui permettent le déploiement d’humains dans une autre dimension que celle du jour.
Pour reprendre Pierre Rabhi, on a tous fait l’expérience d’apéros dans des appart’ tout petits, serrés dans des boîtes, pour finalement sortir dans des espaces confinés, qui sont également des boîtes. Faire la queue sans assurance d’y entrer, payer sa conso’ plus cher qu’un grec + boisson, et ne pas pouvoir mouvoir son corps comme on le souhaite. C’est un sentiment commun, car plusieurs alternatives émergent, dont la nôtre. C’est délicat car il y a une programmation incroyable à Paris, on trouve de tout. Mais les disciplines sont compartimentées, on va à un vernissage en premier lieu, puis on va écouter du son dans un bar. Mais au vernissage, on s’attarde peu devant les oeuvres, et au bar on râle du manque de place, et de la stagnation morne devant sa bière.
Vous voulez proposer des évènements sereins, spontanés, pas snobs finalement…
On cherche à décloisonner les activités. Il s’agit d’organiser des événements transdisciplinaires, à l’intérieur desquels on peut savourer la boisson, car le breuvage n’est pas le graal d’une soirée réussie. C’est pourquoi on a instauré les soirées MEDUSEE. Elles découlent d’un off à l’Asile, on y a fait jouer Alma Alta, un groupe funk électronique, devant un public d’une quarantaine de personnes. Pour l’occasion, on a ouvert le bar sur la terrasse et avons proposé des Leffe à petits prix. On cherche alors à assembler les individus entre eux, car on considère que la fête nocturne est un magma énergétique incroyable, d’où peut provenir des associations impensables le jour. Il est question aussi d’émanciper le public, car l’autonomie du spectateur qui vit l’événement nous est cher. Ce n’est pas « le client est roi » mais bien « le visiteur est mon ami » Et en vivant son autonomie, il se sent membre à part entière d’une soirée faite pour lui, c’est le début d’une prise de conscience sociale vers autrui. En parallèle, on cherche aussi à dévoiler, c’est-à-dire retirer le voile sur des pratiques artistiques peu ou pas mises en valeur. Ainsi, nous avons proposé le vernissage du livre Tout doit disparaître de Camille Marc, et mis en lumière son dispositif d’écrans polarisés, qui est la conclusion de son diplôme en DSAA. Enfin, notre mantra et dernier de nos objectifs: Aimer. Aimer l’organisation de ce genre d’événements. Aimer faire ce que l’on fait, aimer les rencontres que chacun fait, aimer participer. Aimer les apports divers du multiple et non de l’un. La fusion d’êtres et de matières jusqu’à l’unité consciente et choisie. La sève ardente que l’on espère, en fin de compte.
En bonus, le concert d’Alma Alta à L’asile! :
https://www.facebook.com/lasilesouk/videos/1383515095046959/
R.C.