Le Balajo : du musette à la salsa. Histoire d’un temple des nuits parisiennes
Si je devais choisir un lieu-mascotte des nuits parisiennes, je crois bien que j’opterais pour le Balajo.
L’établissement, ouvert en 1935, a vu passer plusieurs générations de noctambules et a traversé trois époques majeures du quartier de la bastille : l’époque accordéon-musette, l’époque où la rue de Lappe était devenue branchée et la période actuelle, où la rue de Lappe a perdu son étiquette « pointue » pour redevenir un univers populaire, non plus celui des titis de la bastoche mais celui d’un mélange bigarré d’étudiants et de jeunes des banlieues populaires.
Le Balajo n’est pas apparu n’importe où, mais dans un contexte culturel essentiel. Tout commence donc au milieu des années 1930. Le faubourg Saint Antoine est encore une sorte de village où les auvergnats dominent. Leur instrument traditionnel est la musette, qui est un genre de cornemuse. Mais il se trouve qu’un instrument popularisé à Paname par les italiens lui vole la vedette au début du XXème siècle. Il s’agit bien sûr… de l’accordéon ! Les bals musette essaiment partout dans Paris mais l’épicentre est bien sûr le quartier de la bastille, et le saint du saint : la rue de Lappe.
Jo France fait partie du milieu des caïds et des souteneurs. Après avoir tenu un hôtel de passe rue de Charonne, il décide d’ouvrir un bal musette qui se démarque du troquet moyen. Il charge un certain Henri Mahé pour la décoration du lieu. Le bonhomme n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà décoré plusieurs cinémas dont le Rex ainsi qu’un bordel de la cité d’Antin. Mahé s’inspire de l’apparat du « dancing », nouveauté qui apparaît à mesure que le Jazz gagne du terrain à Paris et qui concurrence désormais le décor plus classique et plus simple du bistrot dansant. Le Balajo devient le temple du musette et voit défiler un public d’ouvriers, de filles de petite vertu ainsi que leurs souteneurs. Les bourgeois sont également de la partie. Ils viennent s’encanailler au milieu du bas peuple de marlous et de gigolette. Dans les années 1930, Le Balajo est à la Bastille ce que le Cotton Club est à Harlem : un lieu essentiel qui marquera durablement l’histoire sociale et musicale de Paris.
En observant le déclin du musette, les patrons successifs du Balajo s’adaptent. Le lieu se convertit au rock puis aux musique latines à mesure que Paris se mondialise et s’ouvre à la « world-music ». Aujourd’hui, la programmation se divise entre musique latine et commerciale le soir et musette pendant la journée et en début de semaine.
Le Balajo vaut le détour, d’abord pour le décor, magique et fantaisiste. Ensuite parce que le lieu est restée authentiquement populaire. Le Balajo est la forteresse des titis parisiens dans un quartier qui s’est embourgeoisé à grande vitesse depuis les années 80.
Allez y faire un tour !
Caroline Rami accompagnée par l’orchestre de Raymonde Lefevre au Balajo en 1965 :
Pour aller plus loin, je vous conseille vivement le livre La Bastoche de Claude Dubois. On y lit l’histoire détaillée du quartier Bastille, ses bals, ses souteneurs ses accordéonistes !
Et ici, un extrait du documentaire de Denis Gheerbrant Amour rue de Lappe (1984). On y voit le quartier de la Bastille et ses bistrots avant sa transformation sociale :